Raymond Voltz. L'itinéraire d'un prisonnier de guerre (1939-1945) : de la Marne à l'Autriche

Carnet de bord tenu par le prisonnier de guerre Raymond Voltz au cours de la période 1940-1944

 « Lundi 29 Juillet 1940. Jusqu’à ce jour, je n’avais pas jugé utile de faire le journal de ma vie de prisonnier, car j’espérais en une libération rapide, mais je vois que les jours se succèdent aux jours, sans apporter aucun changement à la situation, c’est pourquoi, ayant trouvé ce carnet cet après-midi, étant en corvée, je me décide à noter mes impressions journalières et l’emploi de mon temps, mais avant je  vais récapituler approximativement depuis le 9 Juin mon odyssée car c’est depuis ce jour que ma vie devient assez mouvementée. »

Ainsi débute le carnet de bord du soldat de 2° classe Raymond Voltz né le 20 novembre 1917 à Venteuil (Marne), menuisier-charpentier, marié à Fernande Voltz, père d’un fils, Alain, âgé de 8 ans, habitant rue du Bauchet à Saint-Memmie (Marne).

 

La drôle de guerre

Mobilisé le 24 août 1939, il rejoint le 139° régiment d’infanterie qui est un régiment de forteresse, chargé en particulier de la défense du sous-secteur fortifié de la Crusnes sur la ligne Maginot (secteur 9 de Metz) entre

Bréhain-la-Ville et le camp de Mortefontaine (Meurthe-et-Moselle).

La débâcle, le repli vers l’Ouest

Le journal de Raymond Voltz en fait très exactement l’illustration à partir du 14 juin 40. Son groupe de 10 soldats progresse vers l’ouest, d’abord en car puis à pied. « on voit de tous côtés que fumées : dépôts de vivres, d’habillement, de carburant qui brûlent, le ciel est obscurci, on croise des convois de réfugiés. Je nous revois en 1918 et je pense à ma femme Fernande et à mon petit Alain qui sont peut-être dans la même situation. »

A Gondreville, le groupe franchit la Moselle, ils ont fait 45 km. L’ordre de repli est donné dans la confusion la plus complète, ils essaient d’éviter les Allemands : Dommarie, Collombey plus de vivres, plus d’encadrement. Un réfugié leur dit que l’armistice doit être signé. C’est à Rémoville (Vosges) que Raymond Voltz devient prisonnier de guerre. Après un périple d’une centaine de kms à pied environ, dans l’incertitude la plus totale et la débandade générale qui jetait sur les routes soldats et simples gens qui s’enfuyaient devant l’ennemi.

 

La captivité

Les prisonniers, 2500 environ, sont regroupés à la caserne des gardes mobiles quartier Foch à Chaumont (Haute Marne), le 24 Juillet. Raymond Voltz essaie d’écrire des lettres pour prévenir sa famille. L’espoir le tient

d’être renvoyé chez lui. Mais la lecture des journaux dissipera cette illusion. Il ignore que sa femme et son fils avec d’autres parents sont sur les routes de l’exode. Son souci constant, tant que durera sa captivité, sera

de correspondre avec ses proches, d’avoir des nouvelles, un vrai leitmotiv qui court à travers son journal. L’autre souci est la nourriture très insuffisante pour des hommes affaiblis par le repli à pied depuis la ligne

Maginot. « le moral est déjà bien bas, écrit-il », le vol de son portefeuille contribue « à sa dépression » « je ne serai pas surpris que l’on nous mène en Allemagne. » ce qui le tracasse, c’est de ne plus avoir les photos de ceux qui lui sont chers. « c’est dur d’être dans l’incertitude, le 14 Août toujours pas de nouvelles...il y a des moments où je me désespère complètement... »

Direction l’Allemagne : par Landau, Gemersheim ( passage du Rhin) Sttutgart, puis l’Autriche, Salzburg, Ems, Krems an der Donau sur la rive gauche du Danube à 70-80 kms de Vienne. Son périple en train se termine

à cet endroit, le 24 Août 1940 ; d’abord en camp de tentes puis en baraquements où les prisonniers sont regroupés par métiers ( il est affecté à celui du bâtiment).

Prisonnier de guerre n°42571 au stalag XVII B puis A de la région de Vienne

Son carnet de bord décrit sa vie, ses activités, du 24 Août 1940 au 10 Août 1944. Les 2 premières années sont détaillées et précieuses pour nous qui le lisons ; mais vers le milieu de l’année 1942 jusqu’à l’arrivée des troupes américaines, le carnet ne comporte que les mentions de colis.

Grâce à son billet jeté du wagon en partance pour l’Allemagne et ramassé par une habitante de Dombasle, qui l’a transmis à sa famille, celle-ci apprendra à son retour d’exode qu’il est vivant et en bonne santé .

Puis la Croix Rouge le signalera comme prisonnier de guerre en Autriche.

A Krems puis à Guttenbrunn, son groupe sera occupé à des travaux de maçonnerie. Enfin , le 9 novembre il reçoit la première lettre de sa femme.

 

1940 : premier Noël de prisonnier :

« la Noël des prisonniers a été marquée plus que je ne l’aurais cru hier : nous avons eu des friandises et

chacun un demi-litre de bière. Il y toujours de la neige et il gèle toujours entre -12°et -15° la nuit et -8° à -10° le jour. Le travail est arrêté sauf pour nous qui montons le lavoir. Pour les autres, le travail est de déblayer les routes quand elles sont trop engagées. A 4 copains nous avons eu notre petit Noël de la part du docteur en médecine à qui nous avions transporté du bois ( gâteau, cigarettes, chocolat fin..). Après la soupe du soir nous avons eu concert avec instruments de fortune et chanteurs amateurs.

Quoique j’aurais été plus heureux de le fêter en famille, je dois convenir qu’ici ça a été moins triste que je ne l’aurais cru."

 

1941. La vie de prisonnier.

Elle est monotone, rythmée par le courrier reçu et envoyé, les colis, le travail sur différents chantiers, les conditions météorologiques ; cet hiver là fut rigoureux, mais il ne se plaint pas.

 

1942

De retour à Vienne, il va travailler en usine où il lime des pièces en aluminium.Les températures la nuit sont très froides, entre -18° et -24°.

A partir de maintenant, le carnet ne comporte plus que des indications concernant les colis reçus. Il n’apprécie pas d’être revenu au stalag «une vraie porcherie, la soupe n’en parlons pas, c’est préférable pour les coeurs délicats.» Il note cependant des alertes aériennes la nuit.

 

1943 Janvier:

Il est malade, il parle de grippe et d’albumine. Les conditions de détention doivent se durcir en même temps que l’Allemagne est entrée dans une nouvelle phase militaire, celle du repli et des défaites.

 

Fin du carnet août 1944.

 

1945

Nous connaissons les conditions de sa libération grâce au récit qu’il en fera à sa femme et à son fils. Devant l’avance de l’armée russe, les Allemands rassemblent les prisonniers et les font marcher vers l’ouest  le long du Danube. Durant cette marche épuisante et interminable, les prisonniers abandonnent leur barda petit à petit. C’est ainsi que Raymond Voltz ne conservera que quelques lettres de son fils et une paire d’écouteurs qu’il tient à lui ramener. Un matin, il n’y a plus de sentinelles. Le groupe de prisonniers est livré à lui-même, progresse toujours vers l’ouest, vivant plus ou moins de rapines. Ils traversent l’Inn en crue sur un bac dont ils ont brisé le cadenas qui l’immobilisait. Enfin, ils rencontrent les soldats américains. Ceux-ci après les avoir copieusement passés au DDT, les répertorient et les ramènent en France par avion à partir de Passau. L’avion fait escale à Epoye, petit village au nord de la Marne d’où une jeune fille envoie un télégramme à Fernande Voltz de la part de son mari.

 

L’avion repart vers Paris. Là, les prisonniers sont rassemblés dans un cinéma. Un civil parisien plein de gentillesse et d’admiration invite Raymond Voltz au café, lui demande s’il a de l’argent allemand, lui propose de l’échanger à la banque proche, le laisse devant un demi de bière ... et ne revient jamais. Beaucoup se sont fait prendre. Certains français prétendent que c’est bien fait, car cet argent a été gagné en participant à l’effort de guerre du Reich. Sans le sou, il réussit avec quelques autres à faire Paris-Châlons sur une locomotive à vapeur haut le pied. Sans aucun doute grâce à la solidarité des cheminots parisiens.

Il arrive à la maison le 14 Mai 1945.

 

Et après ces 1959 jours d’absence ? Raymond Voltz retrouve son foyer , son travail, ses amis, entreprend de construire sa maison de ses  propres mains. Il n’oublie pas son ancienne vie de prisonnier, car il écrit à un civil viennois, Johan Achrer, dont il a fait connaissance lorsqu’il travaillait en usine et qui apportait du pain aux prisonniers français. Celui-ci lui répond :  « ah, Raymond, comme il est bon d’être chez soi dans sa famille et de ne plus entendre parler de guerre.... »  Plus tard, au début des années 1960, Raymond et Fernande iront en Autriche visiter les lieux où il avait passé les jours sombres de sa captivité. Sans amertume ni esprit de revanche. Venait le temps du travail de mémoire et de réconciliation. 

 
Travail de recherche, de lecture, de rédaction et de résumé fait par Nicole Voltz-Decor 2019