Histoire vécue

Un épisode de la guerre 1939-1940

L'exode d'Arcis-sur-Aube à Chalons-sur-Saône en juin 1940

Contexte historique :

"Le 10 mai 1940, les Allemands pénètrent en Belgique et attaquent dans les Ardennes ; leur offensive est rapide et dès le 14 mai le front est percé. Les civils fuient, partent en auto, en chariot ou à pied ; c’est l’exode. Le 14 juin, les Allemands entrent à Paris et quelques jours plus tard, la France signe l’armistice. Une grande partie de la France est occupée."

Simone Venault-Frizon est née en 1913.
Son mari, René, est né en 1912. Il est instituteur.

Simone et René vivent à Arcis-sur-Aube et sont parents d'un premier enfant, Alain, né le 6 juin 1939.

René est réquisitionné comme mécanicien.
Simone tient des mémoires à partir du 12 juin 1940.

Recey-sur-Ource, maison de famille
Recey-sur-Ource, maison de famille

 

"La guerre fut déclarée le 3 septembre 1939. Il faudrait trop de pages et trop de temps pour en écrire tous les événements.
Pendant les grandes vacances de l’été 1939, alors que nous étions si tranquilles tous, la mobilisation rappela mon mari, me laissant seule avec mon bébé.
Les mois d’hiver si froids, je les laisse de côté étant sans grands intérêts, mais vint le printemps, après l’invasion en mai-juin, le mois d’été qui devait nous apporter soleil, gaieté, nous amena à vivre des jours pleins d’inquiétude, d’angoisses et de tristesse.
Dans une calme petite ville de province, j’habitais avec mon bébé qui venait d’atteindre sa première année, chez mes parents, ayant quitté, au début de la guerre, mon appartement qui se trouvait à l’autre bout de la ville, et ses lettres quotidiennes me faisaient paraître le temps moins long.
Chaque jour, en ce mois d’été, avidement, j’attendais les nouvelles des opérations qui se déroulaient à quelques centaines de kilomètres de notre pays, lorsque, par un bel après-midi tout ensoleillé, de mauvaises nouvelles nous parvinrent, l’avance foudroyante des Allemands s’accentuait dans notre direction."

1er jour  -  12 juin 1940
Mon père, qui avait été mobilisé dans une coopérative, travaillait chaque jour depuis le début de la guerre. En toute hâte ce jour-là, étant au courant des événements, il vint nous prévenir que l’heure était arrivée de partir le plus vite possible.
En hâte, avec un affolement un peu compréhensible, nous préparions nos paquets dans de grands sacs, nous entassions linge, chaussures, habits, argenterie, papiers, quelques provisions, enfin, en un mot, tout ce que l’on pouvait emporter.
Les sacs bien bourrés, cela va sans dire, furent entassés dans la Citroën ainsi que différentes choses, pêle-mêle, que nous avions retrouvées au dernier moment.
Sans même avoir eu le temps, ni de dîner, ni même de mettre les chaussures à Alain, nom donné à notre progéniture, nous filions en toute hâte, car il était 19 h, dans la direction de Recey-sur-Ource, paisible petit pays dans la verdure, où habitait ma grand-mère maternelle, la mère de ma mère.
Sans lumière, sans encombre, mais par une pluie d’orage, à 22 h, nous sonnions à la porte de cette grande maison où personne ne nous attendait ; je dis « personne », car au-dessus du logement de chez « grand-mère », habite une grand-tante et son mari infirme.
La surprise que provoqua notre « arrivée », on la devine aisément.
Heureux tous d’être arrivés, et pensant être en sécurité, nous nous apprêtions à couler des jours, non pas heureux car le vrai bonheur n’existe pas en ce moment, pour moi tout au moins, mais des jours plus calmes et tranquilles à l’abri de toute alerte.


2e et 3e jour  -  13  et  14 juin
Papa, le lendemain, dut repartir seul, comme c’était prévu pour emmener des personnes de notre ville dans une autre région de la France, et devait revenir nous retrouver.
Deux jours venaient de s’écouler, non pas dans le calme, comme nous le pensions. Une circulation interne encombrait les routes : autos remplies de gens et de choses avec les matelas dessus, vélos, et surtout charrettes, voitures à foin, dans lesquelles s’entassaient pêle-mêle des chaises, des valises, des sacs, de toutes façons, des gens assis comme ils pouvaient, des voitures d’enfant même, où peut-être, un nouveau-né dormait-il tranquillement, puis je vis aussi des casseroles, des seaux et que sais-je encore… Tout un matériel plutôt modeste, mais qui devait être, avec leurs terres, toute la fortune de ces pauvres réfugiés qui quittaient leur foyer, leur bien comme tant d’autres. Pour s’en aller où ?
Quelle tristesse que cet exode des gens de toutes conditions plus ou moins riches.
Certains ne voulant pas laisser toutes leurs bêtes, dont les grosses têtes avaient été parquées, avaient attachées derrière leur voiture, ensemble, dans la même caisse, quelques poules et lapins.
Et ce triste cortège, nous le vîmes pendant deux longs jours ; quelques femmes, jeunes encore, se sont arrêtées et ont demandé soit du lait pour le petit, soit de leur faire cuire quelques volailles qui n’avaient pas été préparées pour le voyage.

4e jour  -  15 juin
Alors que, tranquillement, nous regardions ces gens, brusquement, ce samedi 15 juin, une Torpédo découverte s’arrêta devant la maison ; deux soldats en descendirent. Avec attention je regardais, et que vis je ? Mon cher mari et un de ses camarades.
Ma surprise fut immense, ma joie débordante de le voir là, vivant, devant moi car j’avais appris le matin même que la ville où il se trouvait avait été bombardée, et avec inquiétude je me demandais ce qu’il était devenu. En résumé il me raconta ces quelques jours vécus dans les bois, la plupart du temps comme, ils pouvaient avant de pouvoir rejoindre leur régiment à D.   et, comme passant par ce pays et pensant que je m’y étais refugiée, il a tenu à s’arrêter pour venir me voir, chose bien naturelle.
Pendant que nous leur préparerions un petit repas, car leur estomac était creux malgré l’heure avancée de l’après- midi – depuis deux jours ils n’avaient pas mangé –, nous causions en tirant des plans. Mon cher mari, qui se prénomme René, tenait à m’emmener car l’avance encore plus foudroyante des ennemis nous affolait et, les sachant tout près, il voulait absolument m’embarquer avec notre fils et ma mère à la gare de D., d’où là nous pourrions prendre un train pour filer sur le Midi.
En pleurant, en gémissant, ma mère, aidée de mon mari, fit sa valise, elle ne voulait pas partir et c’est avec du mal, et beaucoup de sages paroles, que nous l’avions tout de même décidé. Moi plus calme, avec courage et moins d’affolement, je préparais aussi ma valise emportant le nécessaire surtout les « effets » pour le petit, sans oublier un sac de provisions, qui devait plus tard nous rendre de grands services – cela consistait en un saucisson, une boîte de pâté et des sardines, quelques petits beurres, une boîte de farine pour faire les bouillies de mon tout-petit (Je donne ces détails car ils auront leur importance).
À 6 h du soir, en cette journée mémorable, et par un temps splendide, l’auto démarra à travers les petites routes que nous avions empruntées. La Torpédo filait à grande allure, quelquefois nous roulions sur une douce route goudronnée, puis nous la quittions pour une petite route pleine de trous et de bosses, mais nous ne pensions pas au confort ; par moment le vent s’engouffrait dans les couvertures que nous avions relevées jusqu'à notre cou tellement l’air était frais. L’enfant dormait sur mes genoux, calmement, sans se soucier de tout ce qui l’entourait. À cet âge – un an depuis quelques jours – les soucis ne peuvent pas exister et c’est heureux, car nous avons toujours le temps de souffrir !
Le paysage superbe nous invitait à faire une halte pour contempler ces forêts, ces vallons, ces collines, d’où nous découvrions une vue superbe, ces campagnes verdoyantes et paisibles mais nous n’avions ni le temps ni le cœur de nous y arrêter et c’était dommage tout y était si beau, si calme et reposant que l’on pouvait se demander si ce n’était pas un rêve que nous vivions, si vraiment nous étions en guerre ! Pouvait-on croire que plus loin c’était le carnage, l’horrible tuerie des hommes ? Hélas !
La pensée et les yeux occupés à admirer cette fin d’une si belle journée d’été revenait bien vite à la triste réalité, il suffisait pour cela de regarder devant soi ces deux hommes qui nous conduisaient.
Leurs visages noircis par une barbe de quelques jours, fatigués, ne reflétaient pourtant pas la tristesse, ni la joie non plus, le sourire n’apparaissait pas sur le visage de mon mari et pourtant quel regard de temps en temps se posait sur moi, je sentais qu’il n’était pas tranquille et avais hâte de nous savoir en sécurité plus loin, bien plus loin.
La direction que tous deux avaient prise devait nous conduire à une petite gare, itinéraire que nous avions changé en route, au dernier moment, craignant de passer la nuit dans une grande ville. Mais le chemin plus détourné nous retarda au crépuscule ; nous y arrivions tout de même, mais hélas ! une déception nous y attendait ; la gare ne fonctionnait plus, les trains étant supprimés : que faire ?
Ce fut la question que nous nous posâmes tous quatre ; nous ne pouvions plus reculer, aussi décidions nous de partir pour la grande gare de D.
En hâte nous repartions, mais en chemin, de loin, nous apercevions de ces fumées noires de place en place, ce qui nous fit penser à des bombardements lointains, puis des jeux de lumière, nous étions peu rassurées, ma mère et moi, mais gardions le silence pour ne pas inquiéter nos voisins de route.
Je passe sous silence certains incidents et tout de même, à la nuit cette fois, nous fîmes notre entrée dans la ville, il était temps car le moteur à quelques pas de là s’arrêta faute d’essence.
Après avoir conduit, nous et nos valises, dans la salle des pas perdus, à 10 h du soir, mon cher mari nous quittait ; quand devais-je le revoir ? la suite nous l’apprendra.
Une longue nuit s’offrait à nous, notre train étant à 6 h du matin, nous n’avions même pas cherché une chambre dans l’un des hôtels entourant la gare car tout devait être plein.
Une foule immense emplissait toutes les salles, que de gens, que de monde partaient, quittaient leur foyer eux aussi. Quel spectacle s’offrait à nos yeux durant cette nuit inoubliable. Tout le monde gisait, là, pêle-mêle parmi les sacs et les valises, ou avaient couchés là ; sur des couvertures pliées des enfants en bas âge – pauvres petits, leurs lits n’étaient pas doux mais combien était profond leur sommeil ; des hommes, vieux et jeunes, dormaient assis par terre ; des groupes de famille, debout, causaient de leur prochain départ, de l’heure tardive du train qui devait les emporter vers des horizons nouveaux.
Pendant toute cette nuit (DIJON), ma mère resta assise sur une couverture pliée par terre, elle avait peur bien souvent que les personnes qui circulaient autour de nous marchent sur ses jambes car la lumière des lampes était camouflée et c’était une toute petite clarté qui se répandait par place même. On n’y voyait rien.
Malgré tout, les heures passaient, mais je les trouvais longues et souvent mes yeux regardaient la pendule, je ne pouvais même pas essayer de dormir, Alain non plus n’avait pas sommeil, il ne voulait pas rester sur place, par moment j’essayais de le bercer dans mes bras, mais c’était sans succès. Il était énervé, on aurait pu croire qu’il se rendait compte de ce qui l’entourait, que tout cela n’était pas normal, inhabituel. Alors, que faire de lui ? Par moment, je le prenais par la main et le faisais marcher, mais moi-même j’étais vite fatiguée.
Enfin, tout de même, l’aube apparut apportant(DIJON), par les portes restées ouvertes, une certaine fraîcheur qui renouvela l’air vicié de l’atmosphère."
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